Écrire intelligemment et efficacement
Pourquoi et comment faire écrire nos élèves?
Il y a certes des élèves qui écrivent mal dès tout petits et dont le geste lui-même a besoin d'être rééduqué. En général, ces cas sont vite repérés.
Mais il y a aussi, et dans des proportions bien plus importantes, un certain nombre d'élèves dont l'écriture, relativement esthétique, est inefficace.
Qu'est-ce qu'une écriture inefficace? C'est une écriture qui ne remplit pas les fonctions que l'on attend d'elle. À l'école, j'en vois trois: -noter le cours à une vitesse suffisante pour ne pas en manquer une partie, -faire intégrer dans la mémoire les informations copiées (contenu du texte copié, mais aussi orthographe d'usage), -soutenir et accompagner la pensée (notamment dans l'activité de rédaction).
Si on ne s'intéresse qu'à la première, purement technique, autant, comme on le fait de plus en plus, distribuer des photocopies pour délivrer les élèves de ce pensum et gagner du temps. Si on pense que les deux autres, intégrer et réfléchir, ont encore leur place à l'école, il faut donner à nos élèves les moyens de ce qu'on attend d'eux. |
Image par José Augusto Camargo de Pixabay |
D'où viennent leurs difficultés?
Avec mes élèves de 6e, en corrigeant certains contrôles, je me demandais parfois comment certains élèves faisaient pour avoir de si mauvais résultats. Même sans ouvrir un cahier chez soi, l'exposition répétée à l'information en cours devrait suffir à faire intégrer le minimum. |
En leçon de grammaire, par exemple, je procédais ainsi:
-je présente la notion au tableau, de manière interactive, avec des exemples concrets (première exposition),
-je pose des questions et je fais reformuler (deuxième exposition),
-des élèves lisent la leçon à voix haute (troisième exposition),
-nous faisons ensemble des exercices d'application à l'oral, en rappelant la règle (quatrième exposition),
-les élèves copient la leçon (cinquième exposition),
-ils font à l'écrit des exercices d'application (sixième exposition).
L'expérience prouve malheureusement que, même si la classe est sage, cela n'est pas suffisant pour un certain nombre d'élèves. Pourquoi?
-parce que, quand je parle, les phrases atteignent les oreilles mais pas forcément le cerveau,
-parce que, si je ne leur pose pas la question à eux en particulier, ils ne se sentent pas concernés,
-parce qu'ils n'écoutent pas ce que les autres lisent ni, plus surprenant encore, ce qu'ils lisent eux-mêmes,
-parce que, lors des exercices, plutôt que de tout suivre, ils passent leur temps à chercher une phrase, la plus courte ou la plus longue, selon leur goût, et à crier "moi, moi" et "oh non!" quand ils veulent être interrogés et qu'ils ne le sont pas,
-parce qu'ils copient mécaniquement, sans avoir la moindre idée de ce dont cela parle,
-parce qu'ils trouvent des stratégies d'évitement de la réflexion pour les exercices faciles et répondent au hasard pour les exercices difficiles.
Une heure a passé, ils ont fait le job!
La première chose à faire: les empêcher de travailler formellement et redonner du sens à toutes leurs activités, notamment l'écoute, la lecture et la copie.
Comment copient-ils?
Pour mesurer leurs difficultés, j'ai fait passer un test de copie à deux classes de 6e (47 élèves présents). Nous étions à la fin de l'année.
Une moitié des élèves devait copier un texte projeté au tableau pendant 5 minutes. Ils devaient ensuite retourner la feuille et écrire ce qu'ils avaient retenu. Pendant le temps de copie, chaque élève était observé par un camarade qui devait tracer une barre sur un exemplaire du texte à chaque fois que le premier élève relevait la tête pour regarder le modèle.
La moitié des élèves ont donc copié un texte, l'autre moitié un autre texte. De plus, le deuxième groupe était prévenu de la manière exacte dont se passait le test (à savoir que l'on notait à quels moments il regardait le texte, et qu'il devrait ensuite en restituer le sens).
"Je n'ai pas lu le texte, je l'ai copié!" m'a dit une élève quand je lui a demandé de redire ce qu'elle avait retenu. Dissociation totale entre deux activités qui pourraient sembler indissociables... Cela explique les "stratégies (si l'on peut dire) de copie" aberrantes, la lenteur qui s'ensuit et l'inefficacité du travail.
En voici un exemple. Lors d'un cours de soutien, une élève a copié le texte ci-dessous et j'ai observé où elle regardait son texte, et mis une barre à chaque regard.:
A plat / ven/tre / d/ans le / pré,/ D/el/phi/ne / et / M/arinette / étudiaient / leur / géo/gra/phie / dans / le même / livre, / et il / y avait / un canard qui / all/on/geait le cou / entre / leurs deux / têtes / pour rega/rder / les carte/s et / les imag/es/.
L'élève a regardé le texte à chaque fois qu'il y a une barre, soit 37 fois pour copier 37 mots. Cela paraîtrait très préoccupant qu'une élève de 6e ne retienne qu'un mot à la fois quand elle recopie un texte. En l'occurence, cela serait moindre mal, car on constate que l'élève en question n'use même pas du découpage de la phrase en mots, ce qui est le niveau zéro de la syntaxe, mais copie tantôt plusieurs mots, tantôt un seul, tantôt une syllabe, tantôt quelques lettres, sans que l'on puisse justifier ces arrêts par des vérifications orthographiques. Une chose est sûre: l'élève n'a pas lu le texte en même temps qu'elle le copiait.
Dès lors, on ne s'étonne plus que la copie soit lente.
Sur l'axe horizontal figure le nombre de caractères à la minute, sur l'axe vertical, le nombre d'élèves ayant atteint cette vitesse.
On attendait, pour ces 6e, une vitesse de 90 caractères à la minute. 6 seulement ont atteint ou dépassé l'objectif. Si on compte ceux qui sont entre 80 et 89, un petit tiers des classes a une vitesse satisfaisante. Les autres sont lents voire très lents.
Si le texte était compris et copié sans faute et avec une graphie satisfaisante, cela ne serait pas très grave. Ce n'est malheureusement pas le cas.
Le diagramme ci-dessous rend compte de la capacité des élèves à restituer le sens du texte copié.
Seulement 9 élèves sur 47, après avoir copié un court texte narratif, sont capables d'en rendre compte correctement. On comprend dès lors d'une part, que l'activité d'écriture soit fastidieuse pour les élèves, puisqu'elle se fait hors sens, d'autre part, que les leçons ne soient pas intégrées puisque même leur copie n'est pas efficace.
Comment faire?
Ce qu'il faut faire, une fois que l'on a compris que les activités scolaires les plus élémentaires, comme copier, ne vont pas forcément de soi, c'est tout simplement montrer aux élèves comment faire, et ce à n'importe quel niveau, du CP au lycée voire plus... Sans cette base, les élèves perdent du temps et s'épuisent inutilement. Pire, ils croient qu'ils travaillent et ressentent incompréhension et colère quand ils constatent que cela ne paye pas.
Les stratégies de copie s'enseignent et s'exercent, en classe entière ou en atelier de remédiation. Les bénéfices sont nombreux, pour ce qui concerne la vitesse, la compréhension, mais aussi l'orthographe, l'expression et bien sûr le plaisir de travailler!
Si vous souhaitez être formés à ces questions, sachez que je propose des formations d'enseignants. Je peux me déplacer dans les établissements pour proposer aux équipes pédagogiques des formations sur mesure.
La première chose à faire, c'est de les faire verbaliser. Elisabeth Nuyts développe largement ce sujet dans deux de ses ouvrages majeurs: -L'école des illusionnistes, -et Dyslexie, dyscalculie, dysorthographie, troubles de la mémoire, prévention et remèdes.
Elle y démontre brillamment, et mon expérience pédagogique acquiesce, que la pensée véritable repose sur le développement de la pensée langagière, qui est une voix intériorisée peu à peu. L'important est là: intériorisée peu à peu. L'enfant doit d'abord écrire (et lire et penser) en parlant à voix haute, en disant ce qu'il écrit au fur et à mesure qu'il l'écrit. Il est donc dangereux d'exiger le travail en silence dans les petites classes. Plus tard, il chuchotera, puis il labialisera, c'est-à-dire qu'il bougera les lèvres au lieu de parler, et enfin il n'en aura plus besoin, ayant pleinement développé sa parole intérieure. |
Or malheureusement beaucoup d'enfants et sans doute d'adultes n'ont pas appris à fonctionner ainsi. Quand ils lisent, ils n'entendent pas les mots dans leur tête, et le sens du texte ne s'inscrit pas en eux. De même quand ils copient. Au lieu de lire une phrase (c'est-à-dire de la transformer en sons), de la retenir et de se la dicter mentalement à eux-mêmes, en quelque sorte, ils s'efforcent de retenir une succession de signes à retranscrire.
Devant la phrase à copier: "Ce matin, il fait beau.",
-un élève bien construit va la retenir en entier et la copier sans se référer au texte. C'est facile pour lui: la phrase fait sens, elle est courte et elle ne présente pas de difficulté majeure;
-un élève qui n'a pas intégré le principe de la copie va retenir puis écrire un certain nombre de signes, beaucoup s'il a une bonne mémoire visuelle, peu si elle est moins bonne. Aussi bien va-t-il copier "Ce ma" puis "tin" puis ",il fa" puis "it bea" puis "u." s'il a une mémoire de plus ou moins 4 caractères. Cela paraît aberrant mais se rencontre malheureusement souvent.
Pour redonner du sens, rien de tel que la verbalisation. Les résultats sont surprenants. En voici un exemple.
Il s'agit de l'écriture de Baptiste, élève de 6e multidys, qui bénéficie de l'aide d'une AVS et qui pourrait utiliser un ordinateur avec logiciel spécifique pour lui lire les textes et retranscrire ce que Baptise lui dicterait.
Devant la lourdeur des difficultés, l'équipe pédagogique a fait des adaptations mais n'a pas encouragé l'usage de l'ordinateur et Baptiste n'a pas souhaité l'utiliser.
Les élèves avaient eu à résumer chez eux un texte lu en cours. Comme d'autres élèves lisaient leur production, Baptiste a complété, en vert, ce qu'il avait fait. |
Le résultat est très peu lisible, les mots étant mal segmentés. |
J'ai ensuite demandé à Baptiste de me dire oralement ce qu'il avait écrit, puis de redire la phrase en séparant bien les mots et en les comptant sur ses doigts. Enfin, il a écrit la phrase en prononçant chaque mot ou syllabe au fur et à mesure qu'il l'écrivait. |
L'image n'est pas très bonne mais on voit tout de même que l'écriture a gagné en qualité. Elle est plus petite et moins fluctuante. Surtout, les mots sont correctement segmentés et le texte est désormais très lisible.
On voit, en plus foncé, les fautes que je lui ai fait corriger à l'effaceur.
Je lui ai demandé ce qu'il fallait mettre au début de la phrase et il a ajouté la majuscule à "Dieu". Je lui ai demandé de me dire quels étaient les verbes et il a changé "dis" en "dit" et "ses" en "c'est". C'est moi qui ai corrigé en rouge les fautes qu'il restait.
Cette technique est notamment très efficace pour les élèves les plus en difficulté, par exemple les dyslexiques. Je retranscris ici un deuxième exemple. Il s'agit d'une élève de 6e dyslexique. À gauche, elle écrit spontanément. À droite, elle écrit en parlant à voix haute.
Je me suis lever puis apier. Ensuite j'ai déjeuner puis je me suis laver les dents la la vigure.
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Je me suis lever puis habilé. Ensuite j'ai déjeuné, je me suis lavée les dents puis la figure.
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Il reste certes des fautes mais des fautes malheureusement fréquentes chez un élève de 6e. Les grosses fautes de dyslexie, elles, ont disparu. C'est déjà ça!
Pour en savoir plus et aider au mieux vos enfants ou vos élèves, n'hésitez pas à me contacter!
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